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1914.
Léon Bagarry, 23 ans, natif des Salles, s'apprête à convoler en justes noces avec sa jeune fiancée Sara,
enchantée d'un avenir aussi radieux : Léon, jeune et bien de sa personne,
issu d'une des familles les plus riches du village, est en effet le plus beau parti que l'on puisse imaginer...
Et les préparatifs de ce mariage vont bon train : la robe de mariée de Sara est déjà prête pour la cérémonie.
1er août 1914. Nul n'ignore maintenant que les quatre années qui vont suivre seront appelées « La Grande Guerre », une boucherie effroyable qui fera des millions de morts, et verra tous les villages de France cruellement endeuillés. Léon, comme tous les jeunes Sallois, n'a d'autre choix que d'accomplir son devoir de citoyen : mobilisé comme ses camarades, il part la fleur au fusil. porté par l'enthousiasme qui règne partout, et qui prédit le retour au pays des soldats mobilisés avant la fin de l'année. Et c'est ainsi que le mariage de Léon et Sara est différé en attendant le retour rapide de Léon couvert de gloire... |
En juillet 1915, Sara écrit à Léon, à l'Hôpital auxiliaire de Nice où il séjourne. C'est une carte postale représentant le pont - tout neuf - de Garuby, qui est la fierté de son village natal. |
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Léon a eu plus de chance que ses camarades auxquels le Monument aux Morts rend hommage aujourd'hui :
il a survécu au cauchemar de la Grande Guerre sans blessure grave.
Mais Sara... est-ce le chagrin d'être éloignée de son bien-aimé,
ou bien les dures conditions de vie qui régnaient alors aux Salles ?...
Sara ne revit jamais Léon, et ne connut ni la joie de l'armistice de 1918,
ni le bonheur du mariage planifié avec son fiancé.
Sara a été inhumée avec la robe de mariée qu'elle avait eu le temps de longuement broder de ses mains,
dans le cimetière des Salles, et dans le mausolée de la riche famille Bagarry.
Au retour de la Grande Guerre, Léon a dû apprendre à vivre sans sa promise ;
il ne s'est jamais marié. Il a vécu seul dans la vaste maison familiale de son village.
La veille de Noël 1951, Léon a rejoint sa fiancée dans l'éternité,
et dans le mausolée familial du cimetière des Salles-sur-Verdon.
Le temps passant, l'histoire de Léon et Sara aurait dû sombrer dans l'oubli...
si l'EDF n'avait décidé de noyer la vallée.
En septembre 1972, les Sallois ont connu l'épisode le plus douloureux de la destruction de leur village,
le transfert du cimetière ; chaque famille était représentée pour assister à l'ouverture du caveau familial...
mais personne n'était présent pour veiller plus spécialement sur le devenir de Léon et Sara :
ils n'avaient pas de descendance. Cependant, quelques anciens de leur génération se souvenaient d'eux.
Et grande fut leur surprise de constater que la robe de mariée avait résisté aux outrages du temps.
Malgré les décennies passées, la robe de mariée de Sara, à peine défraîchie,
était bien visible pour nous rappeler l'histoire des deux jeunes gens.
D’autres témoins rapportent que le corps de Sara était demeuré intact
malgré les années, et que la jeune fille avait des yeux bleus...
Léon et Sara auraient pu s'effacer de nos mémoires,
comme s'estompe le souvenir des histoires rapportées par les anciens aujourd'hui disparus...
...Mais l'année suivante, les maisons de l'ancien village sont tombées les unes après les autres
sous les coups de boutoir des bulldozers, selon un processus immuable :
d'abord la récupération des tuiles et des poutres, ensuite la récupération des pierres de taille...
et enfin la démolition.
C'est au mois d'août 1973 que les tuiles de la maison familiale de Léon ont été récupérées par les démolisseurs,
laissant une ouverture béante sur la mémoire et les secrets qu'elle cachait.
Et c'est alors que deux adolescents, profitant de cette ouverture, ont eu l'audace de braver les interdits
pour se glisser dans la maison et explorer, à pas de loup, ce qui allait finir sous les gravats
et dans les eaux du lac de Sainte-Croix quelques mois plus tard.
Dans la pénombre, ils découvrirent que le sol de la maison de Léon était jonché
d'une quantité inimaginable d'objets en verre... car la maison avait été vandalisée
par les récupérateurs de tuiles qui n'y cherchaient que les objets de valeur pour eux.
S'y déplacer sans bruit et sans se faire remarquer des passants de la Grand'Rue n'était pas une tâche facile...
Passer en revue chacun de ces morceaux de verre qui jonchaient le sol
- car c'étaient en fait des négatifs de plaques photographiques d'une valeur inestimable -
était une tâche beaucoup plus ardue, qui aurait pu occuper bien longtemps les archivistes de l'INA...
Quelques mois plus tard, alors que plus rien ne subsiste de l'ancien village des Salles-sur-Verdon...
Les deux adolescents sont aujourd'hui membres bienfaiteurs de l'association
« Mémoire des Salles-sur-Verdon », et c'est grâce à leur audace
qu'est parvenue jusqu'à nous la carte postale du pont de Garuby écrite par Sara,
que Léon avait précieusement conservée.
...Ainsi que d'autres images déjà publiées par l'association,
provenant des précieuses plaques photographiques sauvées de la disparition.
...Et d'autres à paraître.
Comment l'histoire de Léon et Sara est-elle parvenue jusqu'à nous ? Pourquoi manque-t-il des détails à cette histoire ?
C'est Clara Roux, camarade de classe de Léon,
qui se souvint de cette histoire, et la raconta après l'épisode douloureux du transfert du cimetière en septembre 1972.
L'expédition des deux adolescents dans la maison de Léon, en août 1973,
a permis d'établir que l'histoire de Léon et Sara n'était pas une légende. |
NB : le nom de famille de Léon est bien "Bagarry", et non "Bagarre",
comme indiqué par erreur dans le bulletin "Mémoire Vive" n°5 (page 53),
dans lequel l'image du mausolée ci-dessus est reproduite.
Sans doute à cause d'un accent tonique sur la deuxième syllabe,
le nom que l'on a donné couramment à Léon était "Bagarre" et non "Bagarry".
Dans "Monographie des Salles-sur-Verdon",
François Simian, qui avait bien connu Léon,
avait également commis cette erreur en écrivant "Bagarre", puis "Bagarri" et non "Bagarry".
Sara elle-même, lorsqu'elle écrit à Léon, use de l'orthographe "Bagarre" !
Mais l'état-civil est formel : il s'agit de Léon Bagarry.
Malgré de nombreuses années de recherche, l'identité de Sara est toujours inconnue à ce jour.
Elle n'est pas née aux Salles, elle n'est pas décédée aux Salles.
Lors des opérations de "déménagement" du cimetière de l'ancien village,
aucun proche n'était présent pour justifier de son identité.
Sur toute la partie droite de la Grand'Rue, c'était la grande maison de Léon Bagarry
dont il est question dans cette page.
Pour y accéder après que les tuiles aient été récupérées par les démolisseurs,
il suffisait de passer par la rue d'Antonin (derrière l'église),
de monter facilement sur les toits,
puis de descendre à travers la toiture disparue...
Léon et Sara n’ont pas eu de descendance. Après le décès de Léon, la vaste maison de la Grand-Rue est restée vide.
Jusqu’à l’arrivée d’un couple que quelques Sallois ont trouvé quelque peu étrange :
Gabriel et Cécile.
Tout deux vivaient presque reclus dans la maison de Léon et Sara.
Ils sortaient peu, et vivaient très modestement.
La solidarité des habitants des Salles leur permettait d’améliorer leur ordinaire :
quelques légumes du jardin, quelques œufs de leur poulailler...
Pourtant, Gabriel et Cécile avaient autrefois vécu fastueusement.
Cécile paraissait "étrange" aux Sallois lors de ses (très) rares sorties ?
C’est qu’elle portait aux Salles les vêtements qu’elle possédait lors des grandes soirées
qu’elle avait vécues à Monaco, ou lors de bals somptueux donnés dans des châteaux luxueux bien loin des Salles.
Comment le sait-on ?
On vous a narré ci-dessus l’expédition des adolescents en août 1973 :
ce que les vandales avaient oublié dans la maison de Léon et Sara
– car d’aucune valeur pour eux –
c’était une énorme quantité de plaques photographiques stéréoscopiques,
qui montraient la vie antérieure de Gabriel et Cécile :
les plus beaux châteaux de la Loire, les grands hôtels de Deauville, Monaco et son Casino...
une myriade de documents dignes de Jacques-Henri Lartigue.
Gabriel paraissait "étrange" aux Sallois ?
C’est qu’il pratiquait en ce temps-là une occupation devenue très banale aujourd’hui :
il photographiait tout ce qu’il vivait,
les châteaux, les grands moments de sa vie passée...
et ensuite les Sallois, leur tracteur, la "batteuse"...
Ce sont ces images qui avaient amené les deux adolescents à braver les interdits,
pour les rechercher dans la maison de la Grand-Rue, et les sauver de l’oubli.
En janvier 1973, Cécile, malade, devait quitter la maison de la Grand-Rue.
Miné par le chagrin, Gabriel décidait de renoncer à l’existence,
dans ce qui avait été la chambre de Léon au premier étage de cette maison de la Grand-Rue,
devenant ainsi le premier entrant au cimetière neuf du nouveau village.
Quelques jours plus tard, Cécile le rejoignait dans l’éternité.